Notion de mauvaise herbe et perception des espèces messicoles

Les propositions de gestion agricole favorable au maintien de communautés messicoles se heurtent souvent aux conceptions que l’agriculteur a de ces plantes particulières. Mais que sont-elles vraiment pour lui et plus généralement pour le monde agricole? Quelles sont les représentations qui y sont associées ?

Selon une étude ethnologique, réalisé par le Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées, les plantes messicoles sont à la croisée des regards et, au-delà des aspects naturalistes, elles deviennent porteuses d’enjeux sociaux et idéologiques.

 
L’utilisation du terme « messicole » du XIXe siècle à nos jours

L'étude retrace l’usage du mot « messicole », depuis la moitié du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui,en suivant l’évolution des techniques et pratiques agricoles. Des années 1850 à la 1re guerre mondiale, c’est chez les botanistes que le terme apparaît en premier lieu. Dans l’entre deux-guerres, il passe dans le domaine agricole. Puis, il tombe dans l’oubli jusque dans les années 1960 avant d’être de nouveau repris, au détour des années 1990, par les chercheurs agronomes et les botanistes soucieux de la conservation de ces plantes. Ainsi jusque dans les années 1960, période qui correspond à la création du Comité français de la lutte contre les mauvaises herbe et voit naitre la malherbologie, c’est essentiellement dans les références aux « mauvaises herbes » et « adventices des moissons » que ce mot a été trouvé. D’autres mots tels que arval, arvicole, ségétal ou commensal, viennent compléter et nuancer ce champ sémantique.

 

Les messicoles porteuses d’enjeux sociaux et idéologiques

Aujourd’hui, les enquêtes menées auprès d’agriculteurs de générations différentes et engagés dans différents modes de production, de formateurs agricoles, de chargés de conservation ou de techniciens de chambres d’agriculture, montrent  que les plantes messicoles sont à la croisée des regards et, au-delà des aspects naturalistes, qu’elles deviennent porteuses d’enjeux sociaux et idéologiques.

Chez les agriculteurs retraités c’est le discours de la productivité et de la mutation des pratiques qui domine. Ils s’en tiennent globalement à une vision de la « mauvaise herbe » qui contrecarre économiquement, mais aussi socialement, l’idée valorisante d’un champ « propre ». Chez les agriculteurs en activité que nous avons rencontrés (et donc partiellement sensibilisés à la question), les plantes messicoles ne sont pas une préoccupation : elles sont une des composantes « naturelles » de leur quotidien et il faut « faire avec ». Pour autant, elles sont l’occasion de développer un argumentaire en faveur d’une agriculture bio ou raisonnée et de faire état d’engagements sociaux  ou de revendications idéologiques.

Ces prises de position ne doivent pas occulter des réalités d’un autre ordre où l’esthétique et l’émotionnel sont aussi vecteurs de décisions. Dans le même temps, le « propre » a changé de visage : la présence de plantes messicoles dans une parcelle serait la marque d’un travail respectueux du sol et de la qualité de ce dernier. De plantes à éradiquer, les plantes messicoles acquièrent le statut d’indicatrices d’une agriculture différente, plus soucieuse de l’environnement. En filigrane, la notion de biodiversité des champs cultivés prend peu à peu corps. Les plantes messicoles deviennent alors un indice du changement des mentalités et du rapport des agriculteurs à la « terre nourricière » mais aussi à leur propre travail.

 

Objet encore en construction, les messicoles mêlent donc les interrogations qui invitent à penser les rapports entre sauvage et cultivé, entre écologie et agriculture, entre responsabilité et culpabilité, et questionnent plus largement notre rapport à la nature. Outre l’intérêt qu’on leur porte pour elles-mêmes, elles sont le biais d’expression de convictions qui les dépassent et touchent à des choix de vie et de société.

 

Garetta, R., Morisson B.,  Cambecèdes, J. & Rodriguez, A., (2019). Indésirables, tolérées, revendiquées : à chacun ses plantes messicoles. Perceptions des acteurs du monde agricole vis-à-vis des plantes des moissons. Agronomie, environnement & sociétés, 9(2), 187-193.